24 février, 2006

Tu en tomberas forcément accro... codile



Sacré Bruno. Il m'avait tué sur "Autopsie" avec Ministère AMER en 1994 ("95200" mon album de chevet en rap français), ses jeux de mots à deux balles, sa nonchalance, sa façon de parler de son quartier... Présence furtive mais ô combien remarquée. C'était un sacré bon titre d'ailleurs : le refrain complètement débile ("Tant pis pour ta mère v'la le Ministère !"), l'extrait de "American Me", Stomy qui reprend des comptines pour parler de camés, j'ai saoulé les gens dans la cours de récré au collège avec ça !

Je savais pas grand chose de ce Bruno/Doc Gynéco. Il n'avait fait que ça et vu qu'à l'époque, Passi et Stomy ne faisaient pas de compiles, c'était un peu l'invité mystère mais définitivement, ce mec avait un truc à part.

Et puis deux ans plus tard, un CD 2 titres arrive dans les bacs, "Viens Voir Le Docteur" (ouais putain, quand j'y pense, acheter des 2 titres, quelle connerie, surtout quand y a même pas d'inédit ou de remix dessus). La prod est lente, groovy, chaude. On est loin des canons du rap de l'époque qui fronce les sourcils ou couine sur des boucles piano-violon en clâmant le "vrai" Hip-Hop.
Bruno chantonne, joue avec les mots, use et abuse des métaphores avec une nonchalance narquoise inédite. Pas de violence, pas d'histoire de quartier, Gynéco parle de filles, de cul. On est en pleine guéguerre anti-wacks (après les délires old/new school). Faut dire qu'on se tape de sacrées merdes dans le genre festif à la con ou calibré pour la radio : les Kim, les Squeegee (des mecs de Besançon qui avaient fait un clip horrible façon "Braveheart") et d'autres perdus dans les méandres des one-hit-wonders (et encore). Mais Bruno, il a un truc. Il a un univers, un vocabulaire, une présence.
Et puis sur le 2 titres, y a un feat. de Passi qu'on n'avait pas entendu depuis "95200" ou presque. "Est-Ce Que Ça Le Fait ?" (ouaaaaaaaaaaaais ouaaaaaaaaaaaaais) est lui aussi funky, chaleureux et même si les deux compères racontent n'importe quoi, ça reste méchamment dans le crâne. Bon, il arrive cet album ?
Tiens j'me disais là... C'est quand même moche que Passi n'essaie plus de s'amuser avec son flow comme il le faisait à l'époque. Ok il a jamais été un très grand rappeur mais au moins, on s'ennuyait pas autant que depuis qu'il fait ses "Dis L'Heure 2...".

L'album donc.
Doc Gynéco "Première Consultation" (1996)
Virgin France
1. Viens Voir Le Docteur (Dirty Moog Mix)
2. Dans Ma Rue (High For The Chronic)
3. Nirvana
4. Passement De Jambes
5. Né Ici
6. Vanessa
7. Classez-Moi Dans La Varièt'
8. Les Filles Du Moove
9. Si Tu Crois Que Je Pèze
10. No Se Vende La Calle (L.A. Razza Mix)
11. Celui Qui Vient Chez Toi (Quand Tu N'es Pas Là)
12. Est-Ce Que Ça Le Fait? (feat. Passi)
13. Tel Père Tel Fils (Papa Was A Rollin' Stone) (Version Radio)
14. Première Consultation

Franchement, malin le Gynéco. Il anticipe à fond. "Classez-Moi Dans La Variet'". Il fait du rap mais il faudra pas lui prendre la tête avec nos conneries de rappeur. La street crédibilité, le paraître, les sourcils froncés, la posture, il a observé visiblement. Mais il préfèrait jouer au foot. Ou avec ta meuf. Et aujourd'hui, maintenant qu'il est un rappeur de façon officielle, il a pas envie qu'on l'emmerde avec ça.
En fait, il a anticipé un tas de trucs quand on regarde. Il savait déjà qu'on allait lui casser les couilles parce que c'était pas "du vrai rap" ("Classez-Moi Dans La Variet"), qu'il allait avoir du succès et qu'on allait les lui briser avec les thunes ("Si Tu Crois Que Je Pèze"). Hop, direct, il a les réponses toutes prêtes, pas besoin de se fatiguer à écouter les mauvaises langues.

Pour un mec qui maquettait son truc pour se marrer sur des boucles faites à l'arrache la nuit pendant les sessions d'enregistrement de "95200", il savait quand même bien où il allait. Après, c'est une question de coup de bol, de Buretel qui était chez Virgin le signe et l'emmène à L.A. pour enregistrer son album avec des zikos. Je sais pas si y avait eu beaucoup d'albums de rap français enregistrés avec des instruments live jusque là. Le fait est que ça donne une sacrée chaleur au tout et lui permet de bien vieillir. Gynéco n'est pas là pour la technique mais pour la musique. Il fait les choses simplement, avec légereté et ça fonctionne.

Il m'a toujours fait marrer. "Les Filles Du Moove" annonçait la génération de skyblogueuses d'aujourd'hui en collant aux tass de boite de l'époque (doit toujours y avoir les mêmes mais j'y vais pas). Ça m'aurait bien fait délirer un bon morceau sur ces grognasses fans de photos de bébés en noir et blanc, de mecs torses nus (en noir et blanc toujours), de dauphins ou de chevaux qui copient-collent des textes de leurs chanteurs niais préférés à moins qu'elles ne se croient doués d'un talent pour la poésie dépressive. "Hihi elle cè ma best jt kiff cro cro cooooooo, lachè vo com!!!!! en + elle è celib !!!!!" ou "jte coné pa encor tro bi1 mè jte kiff grav !!!!". Bordel, y a des mecs qui sont serial niqueurs de ce genre de dinde. Mais je m'égare...

Un pseudo à la con qui choquera un temps les féministes, un single censuré en radio ("Nirvana" pour la phrase sur le suicide de Bérégovoy) et un autre qui connaîtra la foudre d'associations couineuses (putain pour prendre mal le coup de "les Youpins s'éclatent et font des magasins", fallait vraiment avoir envie de faire chier le monde) sans oublier les embrouilles avec le Secteur Ä (je la garde pour plus tard tiens), ça aide pour le marketing qu'on le veuille ou non, que ça soit calculé ou non.

Le public achète en masse un album de rap. C'est un peu l'alibi des familles pour dire "le rap c'est trop violent mais j'aime bien Doc Gynéco". Il veut amener le public au rap et le rap au public. Apologie du cul, du foot, des drogues douces, du quartier et dénonciation des délires intégristes du rap, ça parle à la ménagère qui veut s'encanailler sans choquer et qui veut rester à la page. Chapeau Bruno.

Aujourd'hui, Bruno Beausire fait partie du paysage culturel français. Il a sa marionnette de foncedé aux Guignols, il fait des albums plus ou moins réussis, il sort des bouquins où il parle de sa vie et de sa philosophie (et même que c'est pénible à lire) mais son premier album ne vieillit pas. Surement parce qu'il n'a pas été pensé comme un album de rap mais bien un album de variétoche sympa, malin et bourré de rengaines qui trottent dans la tête. Je le connais encore par coeur (à quelques exceptions près, genre "Première Consultation" que je trouve un peu light).

Petite sélection dans la radio blog comme pour chaque article : "Autopsie" avec Stomych et Passich, "Dans Ma Rue" qui lui a apporté le succès, "Les Filles Du Moove" parce que ça me fait toujours marrer ce coté "mec désolé pour ces pauvres filles", "Passement de jambes" parce qu'il rappait pas mal là dessus et en bonus, le duo avec les Rita Mitsuko pour un live sur M6 ("Si J'Etais Riche").

6 commentaires:

caissier a dit…

superbe billet,

j'en profite pour demander à qui veut bien, de m'éclairer sur le début du morceau "Classez-Moi Dans la Variet" ça fait "tout tes dimanches après midi c'était: La grange-aux-belles!" qui y-a-t'il de si intéressant à foutre à la GAB le dimanche? foot?

Octopus a dit…

La Grange Aux Belles (dans le contexte du morceau) c'était vers 1983, un des premiers lieux de rassemblement du milieu hip hop français. ça devait danser, peindre, faire joujou sur les platines je suppose.

caissier a dit…

intéressant.
*
merci.

Anonyme a dit…

sympa la Chronique sur le Doc

et surtout pas mal l'enchaienement sur le hs des sky ta bien analysé le truc en 2 phrases

BIG FRANX a dit…

Bien joué t'as bien parlé du doc. Il est bien ce blog, c'est que des bons souvenirs.
Grace à toi j'ai redécouvert "classez moi dabs la variete".

bonne continuation

hiphopfanatik a dit…

Ah merde ! mec là !! tu m'as tué avec ton passage sur les grognasses ... laisse tomber wow ! à ce train je crois que je vais me faire tous les articles qui d'ailleurs cela dit en passant sont sans fioritures, chose que j'apprécie.

BIG UP à l'Impertinent !